mercredi 23 mars 2011

Les intimités exposées de Manuela Marquez


Les images de Manuela Marques sont comme des présences repliées sur elles-mêmes qui ne se laisseraient pas dévisager tant elles sont intériorisées et engendrées dans le détachement. Cette distance du regard que porte la photographe sur les choses et les êtres est une liberté qui leur est laissée afin qu’ils puissent révéler leur réelle identité.


Still Nox est un parcours de presque dix années d’images qui, au lieu de privilégier le mode de la série photographique, explorent à travers tous les genres du médium du portrait à la nature morte, le paysage...

Les sujets, les objectifs ne sont pas clairement révélés. Le spectateur est ainsi contraint au questionnement, à l’appréhension d’un moment en devenir. Le cadre spatio-temporel des images est difficilement perceptible laissant toute porte ouverte à la reconnaissance, à l’introspection, à la projection d’un imaginaire propre au spectateur.

Ces grands formats sont comme des reconstitutions d’images mentales, des fragments de réalité, des images d’expectative. Ces images sont fortement intériorisées, intimistes. Les sujets sont plongés dans la pénombre de cet intime. De faibles lueurs viennent la plupart du temps de l’extérieur. L’atmosphère est lourde et assourdissante, comme pour préserver quelque chose à l’abri de la lumière, à l’abri des regards, comme pour donner plus de proximité au spectateur, le rapprocher avec cette intimité donnée en image. Elle crée ainsi un rapport privilégié avec chaque regardeur. Ses images ne portent pas de titre ni d’information relative aux lieux de prise de vue afin que le spectateur s’investisse dans la verbalisation de ce qu’il perçoit, comme pour forcer son entendement, le faire parler et le rendre responsable de ses émotions.

On distingue une porte entrebâillée, des lieux intimes comme ce lit où le premier plan est constitué de plis, de froissements et de crissements. Les questions surviennent des lieux les plus anodins. La disposition des éléments dans l’espace vient bouleverser les repères du spectateur, comme cette chevelure qui nous fait douter sur la position du personnage dans l’espace, ou cette présence que l’on devine entre les voiles de cette fenêtre. L’artiste joue avec les ombres, les lumières, les contre-jours, les surfaces réfléchissantes, pour nous faire douter de la véracité de ce que nous pensons apercevoir. Ces effets de miroir soulignent également l’importance du hors champs, comme pour suggérer une omniprésence. On retrouve dans ses images cette même atmosphère étrange et troublante. Tous ces signes viennent accentuer l’idée de repli, d’introspection, d’enfermement. L’image porte en elle les embryons d’un événement que l’artiste a elle même couvé. C’est une reproduction que l’artiste a opérée, une image, une empreinte de ces scènes nouées.

Le caractère unique de chaque image et leur production restreinte s’associent à une autre recherche singulière, celle de l’entre-deux. En prenant ce parti, les œuvres de Manuela Marques sont issues ou tendent vers cette latence de l’événement. Elles viennent juste avant ou après, comme une vague commençant à se former ou bien reculant à nouveau vers la mer après le déferlement. « Je travaille sur le fil du temps » dit-elle en donnant cette image de l’épée de Damoclès en suspend, ce moment intermédiaire entre le suspend, l’élévation et la chute, à voir comme un mouvement annonciateur. Ce mouvement met en exergue la fragilité de l’existence humaine, comme une oscillation irréversible entre vie et mort. La densité des couleurs traduisent des espaces où l’on étouffe et qui, associés à la pénombre ajoutent un caractère de lourde pesanteur aux personnages et aux sujets en général. Les intérieurs font penser à ceux de Blue Velvet de David Lynch.

Si ces images fortement intériorisées traitent de la fragile existence humaine, le spectateur, bien qu’invité à se questionner dans l’absolu, ne peut que penser à l’auteur de ses dites « étranges familiarités ». C’est bien l’inconscient du créateur qui est ici percevable, comme les bribes d’un rêve révélant les clés d’un inconscient pas tant refoulé. Ce sont donc peut-être, aussi, des sensations que Manuela Marquez souhaite partager. Ces visions proviennent d’un travail de recherche sur l’esthétique de l’entre-deux, mais aussi d’un travail sur elle-même.









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