mercredi 23 mars 2011

Photographie documentaire et politique - Monique Déregibus


Monique Déregibus est photographe depuis une vingtaine d’années et enseigne la photographie depuis 1988 aux Beaux-Arts de Valence. Née en 1955 à Marseille, elle y mène des études de lettres modernes et de cinéma, avant de faire partie des premières élèves de l'ENSP d'Arles (ouverte en 1982) où elle suit un enseignement alliant connaissances de l'histoire des images et des discours photographiques et recherches esthétiques. La photographie est encore très peu présente dans les écoles d’art, ou seulement pour un enseignement technique. Il était important pour elle de se poser des questions, de se mettre en décalage par rapport à ce que l’on voit. 

« J’essaye de travailler contre la photographie, travailler sur la question du sens. Par amour de l’écriture et de la lecture ». Elle y cherche une forme d’écriture en images. Walker Evans est pour elle le premier photographe moderne à s’interroger sur la question de la narration dans l’image photographique. American photographs (1938). Il n’y a pas de document, il n’y a qu’un « style documentaire », selon une distinction établie par Walker Evans. L’image, définitivement libérée de l’illusion du document social, .peut accentuer sa part de fiction, comme un tableau.

Elle nous parle de son parcours à travers les questionnements de la photographie contemporaine, en en révélant les ruptures, les usages, les contradiction : la photographie de la façade d’une usine ne peut contenir en elle les enjeux du pouvoir, les désordre, « buter sur une façade, qui n’en dit pas long » (Brecht). « La photographie est un medium qui me prive de beaucoup de choses, mon imaginaire, ma fiction, medium qui se referme et qui devient très vite bête. », ajoute-t-elle. Ce n’est qu’en y insérant une narration que ces images échappent à cette « bêtise », comme si celle-ci ne pouvait se suffire à elle même. C’est pourquoi l’artiste entretient un rapport si personnel avec le livre, plus qu’avec l’image seule ou l’exposition. Dans ses publications, la touche est sobre, les textes sont traités comme des images, aucune préface, pas de titre, pas de page de garde, on commence tout de suite dans un travail. L’artiste tente de trouver des enjeux plastiques à l’intérieur du livre, par la ponctuation et les espaces. Cette approche du libre, si elle ne correspond pas aux canons du livre d’art des conservateurs, touche directement la question de la reproductibilité de l’œuvre et de sa capacité à circuler.

Monique Déregibus se place au cœur de débats géopolitiques. En rage face à la guerre, aux industries d’armement. Odessa, ville d’un des studios cinématographiques les plus importants du cinéma muet russe, ville du massacre de l’escalier du Potemkine, est aussi la ville de relai des industries d’armements comme Sextant. « La pensée artistique est une pensée qui synthétise les problématiques d’aujourd’hui ».

Un tag sur la statue de la place des martyres à Beyrouth donne titre à son dernier livre : I love you forever Hiba. La place des martyres, c’était le lieu des échanges portuaires et des croisements des populations du bassin méditerranéen, aujourd’hui c’est un parking désert. Elle y confronte des images de deux travaux, du Liban et de Las Vegas, ce « lieu mortifère de nos enjeux globalisés », où cette façade de fun et de paillettes renvoi à la façade de l’image photographique. Ce sont des espaces silencieux, abandonnés, des objets traités comme des ruines sans qualité, collectés sur fond de végétation, un espace urbain en perpétuelle reconstruction grouillant de bétonnières, pelleteuses, bulldozers qui s’emploient à recouvrir le présent de la ville.

Des légendes sont indiquées aux extrêmes pieds de page, sans « délivrer » des signes dans la lecture. Elle souhaite que l’on ne distingue pas les neuf images photographiées au Liban pour donner plus de sens à l’intervenir d’un autre lieu, d’un autre continent, sans que cela ne choque la lecture.  La photographie est pour elle une affaire personnelle. Son travail s’oppose à ces images terrifiantes de la guerre, auxquelles elle ne souhaite pas appartenir. C’est justement ces images télévisées qu’elle vit en 1975, celles de l’éclatement de la guerre au Liban, à l’heure du dîner, elle avait 20 ans. Elle parle elle-même de « retour sur l’image, de tout ce que j’ai vu ». Redonner liberté aux images et aux représentations.



« Je ne pense pas », la prise de vue est impulsif, est physique. Il y a une grande solitude dans son travail. La question de la durée est fondamentale pour toute œuvre. Elle soulève par ses images la question de la distance « respectable » et honnête en premier lieu par l’usage du grand angle. Le matériau principal de l’artiste est cette colère froide qui s’anime par la prise de consciences de lieux, aux destructions, à ces cicatrices, ces empreintes laissées par la guerre sur les paysages. L’artiste tente alors de mettre en lumière ces stigmates par des jeux d’anachronisme, de heurts, sans toutefois faire apparaître cette colère. Il y a comme une mutation de cette colère, qui trouve son apaisement dans ce clash violent de la capture photographique, comme un heurt par lequel elle décharge le trop plein d’énergie et d’affects. L’artiste travaille avec ce lourd appareil qu’est le 6X7, le son qu’il produit lors de la capture de l’image est particulièrement bruyant, c’est un violent arrachement de l’image au réel.

L’artiste amène le débat par un jeu sur l’inconscient collectif et la culture populaire, par le biais « d’indices dans l’image qui guide de manière indubitable. Zero police, représentation saturée du monde, où les richesses historiques et culturelles sont faites de carton pâte. Une tour de Babel nous guide vers un dépôt de matériels de guerre. En parlant de ses images, l’artiste fait ressortir son besoin de pédagogie face à cette apparente objectivité, dont la prise de vue n’est pas pensée. Elle semble vouloir nous montrer ce chemin qu’elle réduit par l’énumération de signes, de lectures. Aussi ces légendes en pieds de page, même limitées dans leurs apports d’information au lecteur, apparaissent comme une demie prise de position, car celui-ci est libre de sa lecture. Ainsi se révèle un paradoxe plus profond, celui du photographe pris au piège entre d’une part cette volonté de distance face à l’histoire, et d’autre part la partialité due à des affects très prononcés, car la photographe ne nous cache pas ses diverses convictions et ses idéaux politiques.

La pratique photographique se Monique Dérégibus à l’apparente sérénité, renferme pourtant une des affects très forts voir obsessionnels, qui ne franchit pas la façade le l’image. Cette auto-retenue ou auto-frustration, bien que choisie, trouve sa raison d’être dans l’acte même de photographier. La maîtrise de son propre discours sur son propre travail peut parfois faire preuve d’autoritarisme et d’autosuffisance dans la lecture de son œuvre.

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